Repérages ou À la découverte de notre monde ou Sans titre est le titre pluriel de l’exposition qui s’inscrit dans le cadre de la résidence de recherche de commissariat Scènes de la vie quotidienne à Montréal (on belonging and the politics of belonging)[1]. Les questions suivantes ont servi de trame de fond aux activités réalisées : migration, appartenance, aliénation et enjeux dont font face les villes où se concentrent les populations diverses issues de l’immigration. L’exposition constitue une étape nouvelle de cette recherche.
Cette exposition envisage, du point de vue du concept « d’appartenance », ce que cela signifie d’habiter un lieu. Elle donne l’occasion de méditer sur le sens des notions qui caractérisent l’instabilité de notre époque. Le but de cet exercice est de montrer comment les intellectuel-le-s et les artistes ré-imaginent les caractéristiques spécifiques de la vie contemporaine : mobilité, éloignement, appartenance, marginalisation. Le titre Repérages fait écho au livre d’Émile Ollivier [2], qui met en évidence des notions de la réalité actuelle : globalisation, éthique, droit d’ingérence, migration, identité, pluralisme culturel.
L’exposition prend donc pour point de départ notre contemporanéité. À travers le regard des artistes participant-e-s, l’exposition s’attache à mettre en lumière la fonction de l’art comme outil de connaissance du monde, de découverte du réel et d’expérience du temps.
Toutes les formes d’expressions artistiques véhiculent une vision du monde. L’art que nous pratiquons est notre manière d’entrer dans le monde, ou plutôt notre manière d’inscrire dans un monde ce que nous rencontrons et éprouvons. L’art donne une forme à notre existence personnelle. En ce siècle instable, que peut offrir l’art comme modèle de pratique de « l’hospitalité inconditionnelle »[3] alors que la réalité actuelle appelle de nouveaux sens à l’appartenance et à la dépossession? Il est vrai que, comme le remarque Roger-Pol Droit :
Le défi multiple des temps qui viennent réside dans l’invention d’une coexistence, d’une pluralité active comme jamais encore l’histoire n’en a connu. Rien à voir avec la terrible crispation identitaire, le repli sur soi, les cloisons qui appauvrissent. […] On dit que l’époque est confuse, complexe, et c’est évident. Il n’est pas impossible d’affirmer qu’elle est belle, pour qui aime les nouvelles aventures [4].
Se peut-il que l’art soit seul capable d’arbitrer les défis contemporains, de définir nos manières d’habiter le monde, d’explorer les données fondamentales de l’expérience humaine et d’inventer de nouvelles formes du « vivre-ensemble »?
Outre les œuvres des artistes invité-e-s – de nouvelles productions et des pièces existantes –, l’exposition contiendra également une zone de documentation et de lecture. Inspirées par l’ensemble des activités de la résidence, Cécilia Bracmort et Olivia McGilchrist ont réalisé une œuvre audiovisuelle et interactive, soit un métadocument offrant un aperçu des diverses activités qui se sont déroulées durant la première phase de la résidence.
Cinq ateliers précèdent l’exposition. Talk Show : Ce qui compte interrogeait les notions de citoyenneté, d’histoire, de mémoire et de la place de l’art d’un point de vue social à Montréal. Enstranging the City, mené par Adeola Enigbokan en collaboration avec Ronald Rose-Antoinette, s’est penché sur le concept de « enstrangement », un processus selon lequel une étrangeté est attribuée à un objet ou une situation ordinaires.
Dirigé par la sociologue Myrlande Pierre et intitulé La diversification des populations dans les grands centres urbains : Défis et enjeux, cet atelier a permis une réflexion sur les questions de gestion de la diversité dans des espaces publics, où les rapports entre groupes majoritaires et minoritaires restent marqués par des clivages. Quant à Fitting, proposé par l’artiste Maria Ezcurra, celui-ci traitait des idées d’appartenance et d’indifférence par rapport aux vêtements et d’idéologies de consommation de la société. Aussi, à partir du texte « La menace d’intolérance [5] », daté de 1973 et qui anticipait les débats récents sur les accommodements raisonnables et la Charte des valeurs québécoises, Romeo Gongora nous a amenés à réfléchir aux notions d’intolérance en créant une grille de mots croisés.
Cette exposition concrétise la première phase de recherche et se présente ainsi comme une accumulation de passages, une collection de moments ou une autre manière de penser le monde où nous vivons. Ainsi que l’a écrit Toni Morrison, « Le destin du XXIe siècle sera modelé par la possibilité d’existence, ou par l’effondrement, d’un monde que l’on peut partager [6]. » Et, surtout, parce que notre monde est de ce royaume.
[1] Résidence de recherche pour commissaires racisé-e-s et/ou autochtones d’articule 2015.
[2] Émile Ollivier, Repérages, Montréal, Leméac Éditeur, 2001.
[3] Jacques Derrida, De quoi demain… dialogue avec Elisabeth Roudinesco, Paris, Édition Fayard/Galilée, 2001.
[4] Roger-Pol Droit, « Partout chez soi », Le Monde, 29 décembre 2000.
[5] Guy Rocher, Le Québec en mutation, Montréal, Les Éditions Hurtubise HMH ltée, 1973.
[6] Toni Morrison, Étranger chez soi (The Foreigner’s Home), Paris, Christian Bourgois éditeur, 2006.