Masse, une intervention de dessin à grande échelle, est une tentative de diminuer méthodiquement et symboliquement le fardeau de la dette et le poids des chiffres que nous utilisons chaque jour pour nous identifier : numéros d'assurance sociale, soldes de cartes de crédit, dettes étudiantes, cartes d'identité, numéros d'étudiant, etc. Pour Sam Kinsley, ces représentations numériques s’accumulent pour donner davantage que la somme de leurs parties. Leur addition sur le papier vise à lutter contre l'anonymat et à effacer le fardeau d’une dette considérée comme socialement acceptable.
Bien que la pratique de Kinsley soit ancrée dans le dessin, son produit est un espace négatif. Son travail donne lieu à une absence de produit, un sabotage visuel contre les systèmes de dettes acceptés par la société. Créé sur un grand rouleau de papier, cet espace numérique négatif rappel les premiers ordinateurs : des machines qui évoquent la comptabilisation du travail, l'enregistrement de marques et le calcul. La balance qu'elle trouve en additionnant les marques et en « réduisant ses chiffres » détermine la fascination, ou peut-être, l'hésitation de Kinsley envers sa relation avec le portrait statistique. Ces chiffres, méthodiquement vérifiés, équilibrés et puis supprimés du papier, sont empreints de signification. Pourtant, ils n'ont aucun sens hors contexte. Complètement arbitraires, ils ne sont rien sans que Kinsley leur donne vie.
Entamé durant sa dernière année à NSCAD, alors que Kinsley commençait à penser au poids symbolique de son éducation et à son coût réel, Masse acquiert un nouveau sens dans le contexte de son exposition à articule. Pendant que j'écris ce texte en cette fin du mois de juin, bien que leur nombre soit un peu moindre et leur présence moins rapportée par les grands médias, certains citoyens qui en ont assez des mesures d'austérité conservatrices au profit des riches et au détriment de ceux qui ont le plus à perdre (comme les étudiants) continuent de manifester chaque soir. Quoiqu’elle n’ait pas été prévue comme une intervention en réaction à la grève étudiante au Québec, il est impossible, dans le climat actuel, de lire Masse autrement que comme un rappel du coût réel du système en place et de la dette qu’il impose.
Masse est un portrait intime du lien de Sam Kinsley avec des significateurs numériques arbitraires. En même temps, ce projet est un cri de ralliement pour examiner le poids physique de notre mode de vie. Le travail de Kinsley inspire le rêve d’une alternative à la dette. Après tout, Masse n'est rien que le vide, un espace négatif engendré par un projet éphémère. Peut-être, en imaginant de nouvelles façons de changer notre société, notre dette collective pourrait-elle être perçue comme étant aussi facile à effacer.
Traduit de l’anglais par Nola Fay
Amber Berson est passionnée par l’art et son potentiel de changement social. Ses recherches sont actuellement axées sur l’art et le deuil, les pratiques muséales, les théories narratives et les collections vernaculaires. Elle travaille à Eastern Bloc et a cocommissarié différents projets et expositions à Montréal.