11/04/2011 - 00:00

Dil Se (From the Heart) est un film bollywoodien de 1998 racontant l'histoire d'un amour interdit entre un journaliste et une terroriste. Le film, dont le récit se déroule sur fond du 50e anniversaire d'indépendance du Pakistan, fut un échec au sein des marchés sud-asiatiques mais connut un vif succès aux États-Unis et au Royaume-Uni, marquant la première incursion d'un film indien dans le top dix des entrées au box-office britannique.[1]

 

 

Je connais surtout une scène de danse épique qui se déroule peu après la première rencontre des deux amants. Dans cette séquence, un train file devant un paysage soi-disant indien verdoyant et luxuriant, tandis que des passagers de seconde et troisième classe dansent autour de la vedette féminine. Les personnages sont vêtus de manière hautement romancée et on ne peut moins contemporaine, alors que leurs pas de danse évoquent davantage l'âge d'or de la comédie musicale hollywoodienne que les déhanchements propres aux chorégraphies du Bollywood moderne. Malgré les éloges pour son aspect hautement stylisé et le fait qu'il soit cité comme un exemple classique du cinéma indien parallèle, le film semble plutôt décalé par rapport au canon cinématographique sud-asiatique, du moins d'un point de vue occidental.

 

Est-ce justement le fait d'être si peu bollywoodien qui le rend tellement charmant aux yeux d'un public occidental et colonisateur ? Il présente une Inde aux traits justes, mais cadrée de manière à plaire au « bon » public. Il imite l'esthétique occidentale, assainissant du coup le cinéma sud-asiatique : un choix que le théoricien post-colonial Homi Bhabha qualifierait de « mimique », qu'il contraste avec l'« hybridité ». Bhabha emploie le terme « mimique » dans sa description du sujet colonial pour signifier la tentative de maîtrise des comportements et de l'attitude du colonisateur. Le résultat peut être déconcertant : « presque pareil, mais pas tout à fait ». La mimique est souvent considérée comme un danger pour le colonisateur et une forme de résistance du colonisé.[2]

 

D'autre part, l'hybridité n'est pas une tentative de reproduire parfaitement le colonisateur, il s'agit plutôt pour la société colonisée d'absorber les aspects désirés de la culture colonisante, tout en renonçant à certains de ses propres us et coutumes. Alors que la mimique est en effet un moyen d'adaptation du colonisé à son colonisateur, l'hybridité peut être vue davantage comme un échange culturel entre les deux parties.

 

On nous a habitué à certains types d'expériences cinématographiques face à une oeuvre sud-asiatique : nous voulons un Dil Se, nous voulons l'aspect dramatique hollywoodien, nous voulons des acteurs pâles. Nous voulons du cinéma indien pas trop indien, mais nous voulons qu’il ressemble à l’image que nous nous en faisons.

 

Pour une seconde année consécutive, articule présentera Monitor : Nouveaux courts-métrages et vidéos de l’Asie du Sud, un programme vidéo commissarié chaque année pour SAVAC (South Asian Visual Arts Centre). SAVAC est un centre d'artistes autogéré basé à Toronto « dédié au développement et à la présentation des arts visuels contemporains d'Asie du Sud »[3]. Monitor 8 a comme but d'offrir à un public occidental (des diasporas sud-asiatiques et autres) un regard sur la culture contemporaine sud-asiatique. Monitor 8 ne se plie pas aux attentes occidentales et n'impose pas de définition de ce qu'est une culture. Avec sa sélection incroyablement vaste de styles, les films et vidéos proposés par Monitor 8 représentent « la mutation constante du paysage urbain sud-asiatique, et la transformation des corps qui l'habitent »[4]. Refusant de tenter de plaire à un public en particulier, les oeuvres choisies sont parfois difficiles d'approche, mais reflètent toujours une urgence viscérale. Cette projection ne définit pas forcément ce qu'est le cinéma ou la vidéo sud-asiatique, ni ce qu'il ont été ou seront ; elle amène toutefois des réflexions qui nous transporteront au-delà de nos attentes.

 

 

 

[1]      Kaleem AFTAB, « Brown: the new black! Bollywood in Britain », Critical Quarterly, vol. 44, no. 3 (Octobre 2002), p. 88-98.

[2]      H. K. BHABHA, Location of Culture, Londres et New York, Routledge, 1994, p. 89.

[3]      « About SAVAC » (SAVAC), http://www.savac.net/about-savac.html (Page consultée le 26 novembre 2012).

[4]      Jacob KORCZYNSKI,  « We shape our image and thereafter our image shapes us » (SAVAC), http://www.savac.net/monitor-8/page-3.html (Page consultée le 26 novembre 2012).

 

Participating artists: 
Amber Berson