La découverte d’œuvres photographiques datant des années 70 dans une archive du Chili est à l’origine de la fascination d’Anelys Wolf ainsi que l’inspiration pour son projet intitulé Rural Glamor from a very Southern América. Ces photos sont des portraits d’hommes prises à la campagne. « Il y avait quelque chose de différent à leur sujet, » explique Wolf. Ayant travaillé avec des archives photographiques, elle comprend qu’une lentille de caméra n’est pas qu’une lentille; elle est le prolongement de l’œil du photographe, qui avec chaque pose, capte des éléments sociaux, politiques, spirituels et personnels. Le sens ou la signification d’une photographie peut être insaisissable et son intention, difficile à vérifier. Wolf choisit de révéler des parcelles de désir et de célébrer l’existence des sensibilités queer.
Dans ses peintures, elle retire la barrière entre les sphères queer et cisgenre, et révèle un érotisme caché. Pour Wolf, l’objet de désir reste le même, mais le point de vue est libéré par la substitution de l’identité sexuelle; une représentation tronquée de la photographie originale préserve l’authenticité de départ. L’idée de couper l’image consolide un phénomène de progression de la perception. Avec des traits fluides et précis, elle recrée des fragments des photos et se livre à leur révélation. Cette révélation est importante puisque vue d’une distance géographique concrète de son contexte original, loin des villages venteux de l’archipel de Chiloé, l’artiste libère les photographies d’une interprétation sexuelle paralysée par des liens affectifs. Wolf explique : « ici, tout le monde se connaît; les gens sont identifiés par leur famille; » de plus, « les personnes sur les photos sont peut-être encore en vie. » Ces photos ont été prises au point le plus au sud du Chili, d’où Wolf est originaire, un endroit isolé qui borde l’Océan Pacifique et la cordillère des Andes, près du Pôle Sud. L’isolation et le conservatisme rendent difficile pour les individus LGBTQIA d’exprimer leurs réalités et de construire et maintenir de nouvelles identités. À travers des expressions plus discrètes, contrôlées, réprimées ou même plus audacieuses et flamboyantes, Anelys Wolf propose d’explorer ces enjeux.
L’histoire récente du Chili influence la volonté d’Anelys Wolf de changer les choses. Pour cette dernière, marquée par le régime Pinochet, surmonter la répression devient un souci important. « Nous devions cacher nos pensées, il était dangereux de révéler qui nous étions, » se rappelle Wolf. Elle observe et recherche les détails qui cachent des significations plus profondes et par conséquent libère une véritable forme d’expression. Dans son travail, les qualités formelles se marient à des interprétations nuancées. Comme spectateur de Rural Glamor, nous sommes non seulement face à une sensualité luxueuse et un romantisme sombre, mais également à une variété d’émotions complexes qui peuvent être discernées dans les fragments d’images présentés par Wolf. Des politiques sociales réformées et la promotion des droits de l’homme ont rapidement transformé le pays au cours des dix dernières années. Rural Glamor from a very Southern América dépeint cette transformation résiliente.
L’effet croquis et le mouvement insufflent la vie aux peintures de Wolf. Les gris chauds et les bruns doux attirent l’œil et ajoute au plaisir de contempler ces fourches vêtues d’étoffe. Un des auteurs préférés de Wolf, Oscar Wilde, affirme qu’ « une œuvre d’art est le produit unique d’un tempérament unique. Sa beauté vient de ce que son auteur est ce qu’il est. En aucun cas de ce que les autres veulent[1]. » Le travail de Wolf est une manifestation singulière de ses propres politiques et identifications; par contre, le regarder d’un point de vue introspectif nous fait considérer comment la lubricité opère lorsque face à des représentations queer. Anelys Wolf et Oscar Wilde ont tous deux fait face à des sévères répressions dans leurs vies, et tous deux offrent un aperçu vers l’affirmation de soi et l’émancipation.
[1] Oscar Wilde, “L’âme de l’homme sous le socialisme,” dans The Artist as Critic: Critical Writings of Oscar Wilde, ed. Richard Ellman (Chicago: University of Chicago Press, 1968 [1891]) 270.