Il est difficile de déterminer si Mathieu Cardin est davantage maître de la supercherie ou pourvoyeur de vérité. Chose certaine, ces deux personnalités se confondent dans ses installations ambitieuses au plan architectural. Le travail de Cardin permet d'atteindre des espaces et des points de vue secrets ; il montre l'arrière-scène, les dessous, les salles de production. On y parvient par surprise, se sentant soudain intrus, ou peut-être complice. En nous donnant accès à ce qui semble être un atelier de fabrication de décors, ou en montrant le châssis de soutien d'une maquette de paysage, on pourrait croire que Cardin agit par souci de transparence ; qu'il révèle candidement les matériaux et procédés derrière ses projets dans un geste de déconstruction. Toutefois, ces composantes sont agencées dans les moindres détails, loin d'être aléatoires, utilitaires, ou inesthétiques. Chaque panneau grossièrement taillé et chaque rouleau de ruban à masquer est agilement posé dans l'ensemble. Ces éléments sont autant de fictions qui, plutôt que d'être des livres ouverts ou les clés de notre compréhension, brouillent davantage, ajoutent aux qualités de mystère et d'artifice qui traversent les constructions de Cardin.
L'artiste utilise souvent des images bi-dimensionnelles dans ses installations. Pour sa récente exposition, Il n'en est rien[i], des fausses photos de produits étaient incorporées à un aménagement aux airs de boutique. Avec ses comptoirs plutôt vides, l'installation semblait souligner l'idée de la publicité comme « une fiction fabriquant des désirs »[ii]. En effet, plusieurs des images bi-dimensionnelles dans le travail de Cardin semblent fonctionner selon des principes de séduction et de tromperie. Parmi ses images idylliques récurrentes on retrouve des femmes à moitié nues, et des paysages enchanteurs avec ciels azurés, nuages moelleux, et collines verdoyantes. Les œuvres sculpturales qui les accompagnent nous amènent à comprendre l'inauthenticité de ces assemblages. Des peintures de style « formalisme zombie » ont déjà également décoré les murs des lieux imaginés par Cardin. Il y a peut-être là une touche de dérision envers ces images que nous acceptons et convoitons, et un effort de nous en faire reconnaître la nature intrinsèquement fausse, insipide, et manipulatrice. Mais en quoi ces images sont-elles plus ou moins « vraies » que les objets mimétiques maladroits qui peuplent ces installations ? Les bleus et les verts des photos de paysages sont transposés dans l'espace 3D : un panneau bleu monochrome à la place du ciel, une plante d'intérieur en guise de végétation. Ailleurs, des minéraux et des pierres qui semblent être faits en bois. Lequel est le plus faux, l'objet ou l'image ? La distinction entre les deux est brouillée par ces interactions qui mêlent le naturel au factice.
Il y a une qualité provisoire au travail de Cardin. Les matériaux que l'on retrouve dans certaines de ses installations – des deux-par-quatre, des panneaux de bois pressé – tiennent parfois dans un équilibre précaire, comme pour signifier une configuration temporaire. D'autres éléments font référence aux décors de cinéma ou de théâtre. Vraisemblablement exécutés avec expertise, ils donnent l'apparence du contraire, comme les cloisons sèches qui divisent et définissent les espaces, et leur éclairage ponctuel ; tout semble propre à être démonté puis remonté dans une autre variante. Dans le lexique visuel de Cardin, on retrouve également des outils éparpillés, abandonnés en plein usage. Cette qualité provisoire ajoute au sentiment d'intrigue – elle suggère que des gestes viennent d'être posés, et laisse imaginer ceux qui suivront. Même en l'absence d'humains, il y a une sensation d'activité. Les éléments sont à la fois sujets et objets de leur auto-performance, et annulent du coup toute possibilité de drame humain. L'état transitoire créé par ces installations les rend difficiles à définir. Ainsi, notre compréhension des installations de Mathieu Cardin est tout autant provisoire. Au fil de nos déplacements dans ces espaces, notre perception et notre capacité à saisir la situation sont sujettes au changement, s'adaptant constamment à de nouvelles informations. Cette dynamique s'applique particulièrement à l'exposition présentée à articule, où l'expérience des visiteurs dépend de la profondeur avec laquelle ils explorent les lieux, et de leur capacité à relier les différentes composantes les unes aux autres. Avec toute leur richesse et leur invention inouïe, les installations de Cardin provoquent une réflexion sur l'artifice et la construction de la réalité, tout en se laissant apprécier comme alternatives à notre réalité usuelle.
[i] Il n’en est rien, Galerie B-312, Montréal, du 15 janvier au 13 février, 2016
[ii] Mathieu Cardin, à partir d'une conversation avec l'artiste, janvier 2016