ven, 04/18/2014 - 17:37 -- Sophie
04/25/2014 - 00:00

Il n'y a que deux choses qui importent vraiment dans la vie : l'art et l'amour... quoi qu'il arrive, l'art sera toujours là près de toi, mais avec l'amour c'est plus compliqué...1

 

Between Reality and Transcendence (Entre réalité et transcendance) est la lamentation profonde de Chun Hua Catherine Dong pour les relations perdues. Découlant de sa pratique performative, cette exposition contient douze photographies grand format constituant la série Absent Husband (Mari absent) et une performance in situ.

Les photos sont jumelées en paires qui se font écho l'une l'autre. Cet effet miroir fait allusion à la manière dont les maris et les femmes reflètent et renforcent mutuellement leurs identités propres à travers leur ménage. Il s’agit également d’une référence aux diverses façons dont ces identités se confondent dans l'espace public. De plus, la division physique entre les images signifie une séparation au sein du couple. Dong entreprend résolument à la fois le rôle de la femme, à gauche, et du mari absent, à droite. En portant les vêtements et en occupant l’espace du mari, l’artiste accentue l'absence de celui-ci de manière poignante et paradoxale.

Ainsi, l'histoire qu'elle incarne est malheureuse. Assise dans un lit immaculé, une femme tend une poire coupée en deux vers l'espace vide qui s'étend comme un gouffre à sa gauche. Avec son autre bras, elle tient contre elle un bol en verre rempli de moitiés de poires. À droite, on voit Dong dans le rôle du mari : ses longs cheveux sont tirés vers l'arrière et elle tient une demie poire qu’elle regarde d'un air désolé. Puisqu'en Chine, le mot pour « partager une poire », fen li, se prononce de la même manière que le mot « séparation », les personnes superstitieuses ne partagent jamais ce fruit. C'est donc la séparation que Dong offre à son mari, et toute la tristesse qui l'accompagne.

Deux oeuvres expriment particulièrement bien l'extrême tension véhiculée d'une photo à l'autre. Assise à une table dressée de vaisselle brisée, Dong fixe intensément son époux et enfreigne une convention sociale en le pointant agressivement avec ses baguettes. L'homme est stupéfait : l'air choqué et étonné, tout son corps est porté vers l'arrière, comme frappé par le geste. Dans le deuxième diptyque, Dong est couchée sur le dos sur un lit drapé de rouge et d'arachides en écales2, les jambes écartées, les bras et la tête jetés en arrière, arborant une expression ambiguë ; est-ce jouissance ou douleur? Dans le rôle du mari absent, Dong est à genoux sur le même lit, les doigts courbés et, sur son visage tourné vers le ciel, une expression aussi indéchiffrable. Tout comme dans un autre diptyque où mari et femme sont assis sur une toilette, ce moment intime est choquant, présenté froidement avec un éclairage égal et sans ombrages, les couleurs vives de la scène contrastant avec le fond blanc, avec toute la clarté de la vérité.

Un des diptyques détient peut-être la clé du sens de toutes ces images : vêtue d'une robe en satin, Dong est étendue dans une mallette ouverte, tenant un certificat de mariage chinois. Son corps même, et l'état juridique du mariage, sont devenus des bagages. Contrairement aux vêtements de tous les jours qu’il porte sur les autres images, on voit ici le mari dans une tenue élégante appropriée à la sphère publique. Penché sur une queue de billard posée sur la mallette fermée qui contenait sa femme dans l'image précédente, le mari prend un air concentré, sa baguette pointée évoquant un phallus. Ici, Dong expose les rapports de force des genres, de la sexualité et de la race qui prévalent dans le contexte d'une économie mondiale de migration. Du coup, elle parvient à incarner l'isolement qui découle de ces luttes de pouvoir.

 

Texte traduit de l’anglais par Simon Benedict.

 

Chun Hua Catherine Dong est une artiste de la performance d’origine chinoise et résidant au Canada. Elle a été invitée à performer sur la scène internationale, notamment au 4th International Festival and Conference for Live Art and Performance Studies en Finlande et au International Multimedia Art Festival à Burma. Son travail de performance apparaît dans le palmarès des neuf meilleurs projets d’art politique de 2010 du Art and Threat Magazine. Sa recherche actuelle Performance Ethnography: a Method of Inquiry in Research of Visualization, est soutenue par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada, le Département des arts de l’Université Concordia ainsi que le Conseil des arts de la Colombie-Britannique.

Rhonda Meier est une commissaire, écrivaine et éditrice indépendante. Amorcée par sa Maîtrise (Histoire de l’art) de l’Université Concordia, sa pratique se consacre principalement sur l’anti-oppression, la décolonisation, et la production contemporaine des artistes des Premières Nations. Elle a été éducatrice au Musée d’art contemporain de Montréal et a publié des écrits dans Canadian Art, C Magazine et Changing Hands (Museum of Arts and Design, New York).

 

1 Chun Hua Catherine Dong, The Husbands and I, 2010-2011

2 Dans la tradition chinoise, les arachides symbolisent le mariage et la fécondité ; les aînés les dissimulent sous les draps du lit de jeunes mariés afin de leur souhaiter bonheur et fertilité.

 

Participating artists: 
Rhonda Meier