Une des artistes multimédia les plus importantes de sa génération, Lisa Reihana est renommée pour sa création d’oeuvres qui réinterprètent et redynamisent les histoires et la connaissance de la tradition maorie. Les Mareikura sont de jeunes filles nobles, célestes ou surnaturelles – ou des êtres précieux, estimés et chers – et articule est honorée de les accueillir à travers une des présentations canadiennes les plus complètes, à ce jour, du travail de Reihana.
Les visiteurs sont accueillis par le Hinenuitepo royal, gardien de la mort, des rêves et de l’enfer, provenant d’une installation importante de Reihana, Mai i te aroha, ko te aroha (De l’amour vient l’amour), exposée au Museum of New Zealand Te Papa Tongarewa en 19881. Reihana s’est intéressé à ce personnage mythologique suite à la création de sa série remarquable, Digital Marae2. Ces réinterprétations photographiques et vidéographiques d’atua (divinités) féminines et de tipuna (ancêtres) consti-tuent un virage radical dans l’histoire de l’art néo-zélandais, puisque traditionnellement les pouwhenua (personnages ancestraux) maoris étaient gravés en bois, surtout par des hommes, et placés uniquement à l’intérieur du whare whakairo (maison de rencontre) du marae3.
Également transgressif dans Hinenuitepo est le mélange polymorphe des ta moko (tatous) masculins et féminins et des autres marqueurs d’iden-tité de genre, qui identifient certaines personnes comme takatāpui – des individus qui jouent des rôles sociaux et spirituels clés, et dont le ou la conjoint-e est du même sexe. Comme Reihana l’a affirmé, « Je veux que mon marae soit un endroit […] où tous les gens se sentent bienvenus, et où il y a une place pour tout le monde »4. En conjuguant son travail avec ses valeurs personnelles, Reihana est en train de redéfinir à la fois la mythologie maorie et l’identité contemporaine.
Un autre accueil ambivalent, mais plus formel, est réalisé dans Silent Karanga, une vidéo mettant en vedette la chanteuse maorie acclamée, Whirimako Black. Encadrée par des motifs ocres et noirs rappelant les designs complexes du lin tissé, la vidéo montre l’interprétation émotive de Black d’une karanga, une chanson sans son, ponctuée seulement par l’apparition d’un oiseau Tui muet animé. Malgré l’expressivité de son visage, la diva est silencieuse, ses lèvres en mouvement prononçant un mot de bienvenue impossible à entendre. Avec une retenue éloquente, cette karanga évoque l’abîme du malentendu dans les rencontres coloniales, ainsi que la perte du langage et de la tradition.
Cet abîme est abordé à nouveau dans l’oeuvre la plus ambitieuse de Reihana à ce jour, l’installation vidéo à deux canaux, in Pursuit of Venus5. Cette oeuvre est inspirée du papier peint scénique à multiples panneaux de Joseph Dufour, Les Sauvages de la Mer Pacifique (1804-05), qui a tiré profit de la fascination populaire pour les voyages du Capitaine Cook, entre autres6. Un triomphe technique à son époque, Les Sauvages montrait un paysage tahitien utopique animé par une panoplie de gens maoris,
aborigènes et de la région du Pacifique, ainsi que des personnages prove-nant apparemment de deux régions de la Côte Nord-Ouest américaine. Toutefois, ils portent tous une tenue hellénique, dévoilant un fantasme néoclassique du sauvage primitif et noble – et offrant aux domiciles opulents qu’il tapissait ce que Reihana a étiqueté d’un ton caustique comme « du voyeurisme colonial en tant que divertissement7 ».
Le génie de l’oeuvre de Reihana se manifeste alors que les individus du papier peint prennent vie à mesure que la caméra effectue lentement des panoramiques, leur accordant une voix, une action et une précision historique. En travaillant avec une énorme équipe de spécialistes en jeu de scène, en danse et en technique, elle a intégré des gens qui rient, qui bougent, qui chantent, qui sont tatoués méticuleusement et habillés avec précision. Ce rétablissement du pouvoir, de la voix, de la différence
culturelle et de la vérité aux individus représentés dans Les Sauvages renverse de manière touchante les stéréotypes qui perdurent vivement encore aujourd’hui.
La réinscription, la retraduction et la réécriture de l’histoire sont toutes nécessaires à la rectification de l’héritage colonial et à l’avancement de la décolonisation. Avec l’élégance et la force d’un outil bien aiguisé, l’ensemble des oeuvres de Lisa Reihana trace une vision maorie distincte de l’univers passé, présent et futur.
Texte de Rhonda L. Meier
Traduit de l’anglais par Caroline Künzle
1(Contes de Te Papa, Épisode 19) au https://www.youtube.com/watch?v=PVKZW2Y_ZxI
2 Un marae est un espace communautaire avec des bâtiments pour les cérémonies, célébra- tions et discussions. Mere Whaanga, « Marae management – te whakahaere marae » (Gestion de marae – te whakahaere marae) Te Ara - the Encyclopedia of New Zealand, mise à jour le 12 août 2013 : http://www.TeAra.govt.nz/en/marae-management-tewhakahaere-marae
3 Anna White, « Lisa Reihana : a radical Māori artist » (Lisa Reihana : une artiste māorie radicale), copie de travail, Nga hau e wha, Papakura Art Gallery, Papakura, Nouvelle-Zélande, 2012, p. 1,5.
4 Citation de « Global Feminisms — Lisa Reihana » https://www.youtube.com/watch?v=CqRCuJUxpLo5 Son titre pourrait faire référence autant à la tentative de Cook d’observer le passage de Vénus devant le soleil qu’à la fabrication de fantasmes amoureux sous-jacente à d’innombrables rencontres coloniales.
6 Lisa Reihana, Restaging Les Sauvages de la Mer Pacifique : Theoretical and Practical Concerns, thèse de maîtrise en Design, Unitec Institue of Technology, 2012, p. 14.
7 Les tatouages, par exemple, étaient jugés trop « difficiles » (ou plutôt, probablement, trop provocants), et ainsi furent éliminés — une prévarication flagrante, surtout pour des sociétés où ils détenaient autant de statut et d’importance.