par Amber Berson
Je jongle avec l’idée de ce programme depuis un bon moment (jeu de mot absolument intentionnel). J’ai longtemps été fascinée par la notion du fanatisme sportif. Qu’est-ce qui, dans les compétitions sportives, rend les spectateurs un peu fous, chahuteurs, et surtout, patriotiques ? J’ai été témoin d’un activiste luttant passionnément contre les frontières développer des préférences nationalistes pendant les Jeux olympiques et la Coupe du monde de la FIFA, tout en critiquant le fait que ces sports organisés contribuent aux inégalités structurelles à tous les niveaux de la société, qu’ils accélèrent la paupérisation des masses au profit des gains en capital de l’élite, et qu’ils sont, par définition, impérialistes. Pourquoi, alors, nous excitent-ils tant ?
Lorsque j’ai commencé à développer WORLD CUP !, le soccer était le troisième sport le plus joué au Canada, et celui qui se répand le plus rapidement. La fièvre du soccer se propage vite, et je ne suis pas la seule à m’en apercevoir. Cette exposition rassemble un répertoire international d’artistes qui ont recours au soccer pour explorer les enjeux plus larges liés à notre relation individuelle et collective envers le patriotisme et le nationalisme.
AAA, une performance de arkadi lavoie lachapelle (Québec), fait interagir le genre et la célébrité avec les questions de sexualité et de forme physique. Ayant elle-même été joueuse de haut calibre AAA, lavoie lachapelle joue seule au ballon pendant 90 minutes, chaque jour de l’exposition. Dans cette nouvelle œuvre, lavoie lachappelle amorcera la performance en se rasant le crâne, puis jouera à moitié nue avec un ballon peint à la couleur de sa peau. Elle a produit une installation in situ faisant allusion au terrain de la FIFA, mais à une échelle bien plus intime. Son projet vise à secouer la notion que le sport d’équipe ne s’agit pas vraiment de la célébrité, apportant un virage féministe à la notion de l’esprit sportif, décliné au masculin[1], tout en jouant avec la théâtralité performative du match.
Si le projet de lavoie lachapelle est une étude du corps au singulier, celui d’Onyeka Igwe (Royaume-Uni), Sung, basé sur la vidéo, est un examen du corps collectif. La stratégie des chants patriotiques de foot y est rendue complexe par le renversement des paroles et la dissociation des mélodies de leur spécificité régionale. Créant un potpourri de chansons populaires telles que Angels de Robbie Williams, Freed from Desire de GALA et My Achy Breaky Heart de Billie Ray Cyrus, Sung de Igwe nous demande de nous impliquer de manière active et ainsi d’entonner les paroles. En explorant comment une chanson d’apparence naïve peut devenir une arme politique lorsque placée dans des contextes particuliers, Igwe fait réfléchir sur notre complicité dans la montée du nationalisme lorsque nous participons à la culture du football soi-disant « inoffensive ».
Ce qui m’a initialement attirée vers le soccer est son aspect spectaculaire – non seulement le spectacle monté par les joueurs, mais également donné par les fans. Les deux travaux qui s’ensuivent remettent en question les raisons pour lesquelles nous nous engageons dans des alliances régionales et certaines rhétoriques nationales nous parlent. Alors que les travaux de Null Ace considèrent la mondialité, l’œuvre de Sheena Hoszko (Québec) se positionne politiquement de manière plus locale, se concentrant sur le déni des structures étatiques. Présentant trois nouveaux panneaux de vitrail suspendus par des chaînes, Gold, Red et Blue dépeignent une couronne inversée, une feuille d’érable et une fleur de lys. Chaque pan ressemblant à un drapeau est une réponse à la montée des groupes d’extrême droite au Québec et au Canada durant les deux dernières années. Le vitrail fait partie de la langue visuelle de la construction coloniale de l’État-Nation au Canada – sa présence implique un bâtiment de valeur et d’importance, souvent lié à l’Église ou à l’État – une histoire trahissant les violences anglo-franco du Québec et les actes de suprématie blanche qui ont actuellement lieu dans cette province et ce pays. En 1909, un catalogue de motifs de vitraux populaires était distribué aux clients potentiels à travers les États-Unis et le Canada avec des styles vernaculaires reliant le patrimoine de cet art à la tradition britannique de verrerie. Ces motifs, mirés dans la matérialité, l’échelle et la culture visuelle de Gold, Red et Blue, n’étaient pas seulement réservés aux églises, mais adornaient également les vitres au-dessus des portes d’entrées d’appartements et de maisons, qui, jusqu’à aujourd’hui, continuent à être préservés par les règlements sur les rénovations résidentielles de Montréal.
Le collectif transfrontalier Null Ace (Canada et USA) présente XX, une installation interactive développée à partir d’un travail expérimental initialement conçu en réaction à la Coupe du monde de la FIFA organisée en 2014 au Brésil. XX met en juxtaposition le sensationnel du foot avec l’injustice de sa violence structurelle en opposant sur le terrain de soccer les joueurs venant de pays qui sont en conflit politique et armé entre eux. Le match approprie et redéfinit le contenu des jeux vidéo populaires inspirés du soccer, tels que Kickoff 2 lancé en 1990 pour le Commodore Amiga et la série multiplateforme éponyme de FIFA, en plaçant une image dynamique et potentiellement contradictoire du manifestant dans le rôle de joueur. En présentant des juxtapositions libres mais confectionnées avec soin, XX nous demande de réfléchir sérieusement sur les manières par lesquelles la consommation internationale du foot contribue au capitalisme et aux conflits à l’échelle mondiale, les investissements pouvant renforcer les divisions nationalistiques et la marginalisation systémique. XX cherche à déranger avec subtilité les façons dont nous consommons le sport avec indifférence.
Deux rencontres avec les artistes viendront s’ajouter aux travaux présentés dans WORLD CUP !, dont l’une aura lieu pendant un match de soccer. Nous organiserons également un karaoké d’hymnes de soccer après une séance de visionnage collectif d’un match de la Coupe du monde de la FIFA. Le soccer est un sport incroyablement politique, sur le terrain et en dehors – et désormais, nous l’espérons, au sein des murs de la galerie.
[1] « Sportsmanship » (ndlt).
Traduit de l'anglais par Thy Anne Chu Quang